NOTES HISTORIQUES SUR LA POLLUTION DU DOLLERBAECHLEIN-MEHLABACHLA

 

Cette rivière dérivée de la Doller en amont de Reiningue traverse le ban de 7 communes avant de se jeter dans l'Ill à Ensisheim. Son cours à Wittenheim voisine une longueur de 3.000 mètres. Dollerbaechlein ou "Méhlabachla" selon la désignation locale, Jean CHEClNSKl lui a consacré une belle étude historique, toponymique et hydraulique. La lecture de cet ouvrage démontre si besoin en était, que cette rivière a aussi fait couler de l'encre, et tout particulièrement à propos de ses eaux polluées dés le siècle dernier. En effet, entre mars 1834 et avril 1836, le conseil municipal délibéra à cinq reprises à ce propos.

Il apparait que fin 1833 déjà, Jean HOFER , fabricant à Mulhouse, s'installe à Kingersheim dans l'ancien enclos seigneurial des nobles d'Andlau pour y ouvrir un établissement de blanchissage et de teinture de toiles peintes. Pour ce faire, il projette de détourner une partie de l'eau du Dollerbaechlein dans son usine pour la rejeter avec les effluents de teinture un peu plus en aval.

Il nait la crainte d'une pollution de la rivière contre laquelle les communes de Ruelisheim et de Wittenheim protestent aussitôt alors que HOFER demande une autorisation régulière auprès des services hydrauliques du Département. Une première fois, en date du 8 mars 1834, le conseil municipal de Wittenheim délibère et rappelle que l'eau du ruisseau sert à abreuver les troupeaux et le bétail spécialement en été ainsi qu'au blanchissage du linge ; que cette utilité ne doit être sacrifiée à l'intérêt d'un seul.Une motion est adressée au Préfet et le 19 mai suivant après l'étude du dossier, les wittenheimois maintiennent leur position précisant que le sieur HOFER ne donne pas de garanties suffisantes même s'il propose un écoulement nocturne des résidus pour conserver la pureté de l'eau pendant le jour. Wittenheim en veut aussi à la municipalité de Kingersheim qui parâit très flattée par cette installation qui procure du travail aux classes pauvres alors que les habitants jouissent par ailleurs d'une eau pure en amont.

Dans le commentaire d'une pièce administrative, on relève que l'administration minimise les besoins en eau de la communauté de Wittenheim d'une part et considère que la proximité de l'Ill rend plus tolérable l'inconvénient du trouble de l'eau pour les habitants de Ruelisheim. On note également que le propriétaire du moulin de Wittenheim, le sieur Adolphe RUELL , futur Maire de Wittenheim, a traité séparément, à l'amiable avec le sieur HOFER .En fait l'administration très optimiste considère que le trouble ou préjudice n'est pas constaté et que le temps seul pourra justifier les réclamations des communes de Wittenheim et de Ruelisheim. Cela ne manqua pas! Prés d'une année plus tard, le 2 avril 1835 alors que l'autorisation préfectorale vient d'être accordée, le conseil municipal de Wittenheim proteste à nouveau auprés de l'administration supérieure constatant que malgré les promesses du sieur HOFER les eaux du Dollerbaechlein ne sont plus propres à aucun usage pour les habitants de la commune qui se trouvent dans le plus grand embarras et obligés de se déplacer d'une lieue et demie. La sécheresse qui sévit cet été vient aggraver la gène causée aux habitants. Le conseil vote de toute urgence en date du 2 septembre 1835 un crédit de 270 F pour le creusement d'un puits supplémentaire dans la cour du presbytère. Dans l'intervalle le Préfet avait en date du 30 mai 1835, chargé le Sous-Préfet d'Altkirch de faire procéder à une nouvelle enquête de commodo et d'incommodo avec descente sur les lieux de l'ingénieur du service des eaux. Le 22 octobre le dossier est retourné à la préfecture. Il en résulte qu'à Kingersheim il n'a pas d'opposition et que parmi les pièces produites il se trouve même une déclaration signée par 122 chefs de famille de Wittenheim "attestant que les inconvénients signalés par l'autorité de cette commune ne sont qu'immaginaires et n'existent pas !". En fait, chacun tient sa vérité car le compte rendu de la séance de la municipalité de Wittenheim daté du 10 avril 1836, conclut comme suit : l'enquête menée a établi que HOFER ne tenait pas sa parole, que les eaux du Dollerbaechlein sont "corrompues, épaisses, troubles et infectes !..." Par ailleurs, "le procès-verbal quoique non signé par tous, présente une opposition générale" ; et de préciser qu'un grand nombre travaillant dans la fabrique du sieur HOFER , bien que moralement opposé, risque d'être congédié. On ne connait pas l'épilogue à cette affaire mais il semble que HOFER ait effectivement cessé ses activités, peu après.C'est une délibération du 16 septembre 1839 du conseil de Wittenheim qui est à l'origine de l'ordonnance royale du 16 février 1845 portant création d'une Commission Syndicale pour les travaux de curage du Dollerbaechlein. L'article 7 du Règlement,dispose que les séances se tiendront à Wittenheim. Le premier Directeur ou Président de la Commission fut le Maire de Wittenheim Adolphe RUELL . Cette institution n'empêcha pas la survenance de nouvelles et du graves pollutions dans les années qui suivirent. L'installation à Kingersheim Strueth en 1858, d'une manufacture d'impression sur étoffes par les frères BERNOVILLE-LARSONNIER , fut motif à du nouvelles protestations tant de la part des habitants de la commune de Kingersheim cette fois-ci que de Josué FRIES-REBERT , imprimeur, installé depuis quelques années à Lingersheim village et qui nécessitait des eaux propres propres pour ses activités. La promesse de 500 emplois nouveaux balaye toutes les oppositions. En juillet 1860, un rapport sur les "convenances à prendre pour assainir les eaux du Steinbaechlein et du Dollerbaechlein" indique qu'il n'y a aucune pollution de puits ni danger cela malgré l'odeur fétide des eaux.Les chimistes mulhousiens préconisent la dissolution de chaux destinée à précipiter les particules en suspens. A cette époque le comité National d'Hygiène place le Dollerbaechlein, parmi les 4 rivières les plus polluées de France.

Presque un siècle après, certains se souviennent encore qu'au début des années 1950 ce ruisseau charriait des eaux grises rougeàtres, selon le moment. Avec l'arrêt de l'industrie textile le cours de la rivière a été notablement assaini. Les travaux sur les berges en font un lieu privilégié de promenade et d'observation du biotope. Il n'en tient qu'au civisme de tous, pour que cette rivière ne devienne pas une décharge publique.

Jean Charles WINNLEN.