AOUT 1914......La Guerre !


Ainsi en avaient disposé les gouvernements, les diplomates et surtout les états-majors de l'époque. Au terme de traités d'alliance insensés, ils dressèrent les peuples du vieux continent les uns contre les autres en exacerbant les nationalismes, allumant une lutte meurtrière, pareille à nulle autre dans l'histoire, qui faucha près de 6 millions d'hommes.

Plus de 80 ans après, les derniers témoins de ces événements sont sur le point de nous quitter. Leurs souvenirs complètés par d'autres sources permettent un bref retour dans le temps destiné à retracer la chronologie locale de cette époque.

Au soir du samedi le août 1914, Sébastien GEGAUFF, maire de la commune, prend connaissance du pli cacheté contenant les directives applicables, fixées par les autorités militaires allemandes. Leur publication est aussitôt faite dans tout le village par l'appariteur au son du tambour.

Du lendemain 2 août au 5 inclus, se déroula la mobilisation générale des hommes. On ne sait combien d'entre-eux furent rappelés en cette circonstance : quelques dizaines, plutôt quelques centaines. Parmi eux, Isidore ROESCH (voir photo) qui célébrait son mariage religieux le 2 août au matin et qui fut requis de rejoindre son unité sur le champ. Il quitta Wittenheim par le tramway du soir y laissant sa jeune épouse pour une absence qui dura quatre ans. L'incorporation des instituteurs BURGLIN, LUTZ et SCHWEIZ mit fin à la tenue de l'école pour les classes de garçons. Le conseiller municipal Camille MASSON se trouva également au nombre des premiers partants.

Assurément, l'état-major allemand se doutait bien que les français allaient entreprendre une offensive en Haute Alsace. Aussi, le «Kreisdirektor» ordonna-t-il de déménager tout le matériel stratégique. Dès le 2 août, on réquisitionna les attelages dans le village et alentours. Il importait d'évacuer au plus tôt le matériel minier du puits Théodore : rails, bois d'oeuvre, étais et traverses, soit vers Neuf Brisach soit au port fluvial du Nouveau-Bassin à Mulhouse. Divers matériels du puits Reichsland furent précipités dans le puisard, voire démolis de manière à les rendre inutilisables. Toute l'activité industrielle locale se figea presqu'aussitôt, d'autant que, dès le 4 août, toute liaison de tramway entre Wittenheim et Mulhouse fut interrompue.

Le 6 août, lors d'une réunion extraordinaire du conseil municipal, le maire adjure la population à ne se livrer à aucun écart ni débordement de comportement dans les jours à venir, insistant sur les conséquences graves qui pourraient en résulter. Une garde bourgeoise est mise sur pied en liaison avec les pompiers bénévoles. En vérité on évoqua surtout les aspects économiques découlant de l'ouverture des hostilités : l'achèvement des moissons compromis par défaut de main-d'oeuvre, impliquait la participation de tous les chômeurs l'aide à apporter aux familles nécessiteuses dont le chef avait été mobilisé ainsi que l'approvisionnement des denrées en provenance de Mulhouse.

A l'aube du 7 août 1914, les troupes françaises pénètrent en Haute Alsace sans rencontrer de grande résistance. Le bruit des combats livrés dans le secteur d'Altkirch et de Thann est nettement perceptible à Wittenheim. Les gendarmes locaux, DIEMERT et KNAUS, «de vieux allemands» s'enfuient à bicyclette vers Mulheim le jour-méme. Au soir du 8 août une patrouille allemande de treize hommes, des chasseurs à cheval, bivouaque dans la grange du métayer ROPP. Le même soir à 21 heures, le maire se concerte à nouveau avec les pompiers. Le lendemain matin, 9 août, dès 7 heures, les avants-postes français en provenance de Pfastatt et de Richwiller pénètrent dans le sud du ban. Il s'agit d'éléments de la 2e compagnie du 23e RI accompagnés de quelques cavaliers du 11e régiment de chasseurs qui leur servent d'éclaireurs.

Une escarmouche violente oppose français et allemands dans les champs situés entre l'usine Kullmann et le carreau du puits Reichsland. Un chasseur allemand blessé au ventre et à une main est soigné dans la maison Jules LATSCHA située au Bachweg. Un jeune grenadier du nom de Heinrich DIETZ, appartenant au IR 109, fut recueilli blessé près du cimetière par le directeur de l'usine Kullmann mais succomba le 11 août. Les français s'approchent du village et y pénètrent par le sud après un échange de coups de feu, vers 10h30. Dans le Muhlfeld quatre cavaliers français capturent deux chasseurs allemands. Mais les français se replièrent bientôt car entre 13h et 15h, les renforts allemands ne cessèrent d'affluer empruntant la rue du Moulin ou coupant à travers champs sur le Rebberg. Les hommes étaient épuisés par leur longue marche sous le soleil et certains souffraient d'insolation. L'artillerie allemande prit position à l'est de la cité Kullmann vers le Froeschgraben. Dès 15h30 elle entreprend le bombardement préparatoire à l'attaque déclenchée à partir de 17h sur lllzach puis sur Kingersheim et Strueth-Bourtzwiller entre 19h et 23h. Les mulhousiens, montés au belvédére du vignoble, avaient sous leurs yeux la ligne de combat s'étendant de l'île Napoléon à Pulversheim. Les pertes humaines furent importantes de part et d'autre ce dimanche 9 août 1914.

Tard dans la nuit, c'est sous un halo lunaire que défilèrent les chariots de munitions et que débuta la rotation des véhicules de transport des blessés. Le nouveau restaurant des mineurs "Bergmannsruh", situé près de la colonie Théodore fut réquisitionné par une unité sanitaire et servit d'hôpital de campagne toute la nuit ainsi que durant la matinée du 10 août au cours de laquelle les brancardiers poursuivirent le ramassage des blessés. Vers 17h on procéda à la sépulture de 4 blessés qui avaient succombé ainsi qu'à celle d'un civil non identifié, découvert sans vie. Ce même jour on observa le passage de nombreux renforts de troupes dont le LIR 119. En début de matinée on se presse pour voir deux prisonniers français capturés par une patrouille allemande. Quelques heures après, en début d'après-midi, c'est un convoi de 28 prisonniers français et 5 civils qui firent une brève halte au village avant d'être amenés sous escorte vers Ensisheim. L'écho d'un feu nourri parvenait encore du loin, en direction de Cernay et les dernières informations circulant dans le village disaient que les français s'étaient retirés de Mulhouse.

A lire le procès-verbal du conseil municipal réuni le lendemain il août, le village n'avait pas eu à souffrir des opérations militaires les dégâts aux cultures étaient minimes et aucun dommage n'avait été porté aux immeubles la farine était à nouveau approvisionnée de Mulhouse et le sel se trouvait disponible en quantité suffisante au puits Théodore.

Par la suite les renforts allemands ne cessèrent d'affluer les 12 et 13 août, parmi eux 3 200 hommes et 60 officiers du LIR 136 qui prirent quartier à Wittenheim.

Dans la nuit du 14 au 15 août, les wittenheimois purent voir au loin le rougeoiement du ciel et les fumées de l'incendie de Bourtzwiller. Ce n'est que le lendemain qu'ils apprirent le drame de la nuit. Les troupes du LIR 136 mises en alerte étaient parties dans la nuit vers ce lieu sous la conduite du bangar de Joseph ALBISER et y provoquèrent un massacre dans la population civile. Le chroniqueur, très discret sur ces faits qui marquèrent longtemps la mémoire collective, se contenta de noter que ce fut une nuit horrible, remplie de peurs et de tourments.

De retour à Wittenheim vers 7h, le 15 août au matin, le commandant du 1er bataillon fit don au maire d'un pécule de 39 marks et 25 pfennig prélevé sur le butin, et destiné à être distribué aux pauvres du village ! Par la suite, les troupes allemandes se replièrent on racontait qu'elles rejoignaient la Lorraine.

Cependant l'état-major français lança une seconde offensive sur Mulhouse au matin du 19 août et Wittenheim fut compris dans le plan des opérations confiées à la 41è division. Contournant Mulhouse par l'ouest, les troupes atteignirent Wittenheim tôt dans la matinée. Les éclaireurs et avants-postes font leur apparition vers 9h30. Ainsi le bataillon SOHIER du 23e R qui s'y était établi au matin, reçoit ordre le même jour vers 16h de retour ner sur Illzach pour appuyer la progression du 133e Rt. Il reviendra prendre son cantonnement à Wittenheim pour la nuit. Mais les éléments de deux autres régiments étaient également présents sur les lieux.

Des troupes du 123e RI avaient bouclé le village vers 13h et 4 compagnies du 35e Rt avaient investi la localité. L'appariteur qui procédait à une publication dans la rue de l'Ill fut surpris par leur arrivée et faillit tomber en leurs mains. Il troqua sa casquette de fonction contre le chapeau de Jean-Georges EICHIN pour s'échapper inaperçu, les français ayant la réputation d'arrêter quiconque portait un semblant d'uniforme. La mairie fut encerclée par une patrouille de hussards à cheval qui en empêcha l'accès, brisant de surcroît la boîte postale placée à proximité pour en confisquer le courrier déposé. Ce même jour, lors d'un accrochage avec une patrouille allemande près du Muhlbach, un soldat français, André FAREY, du 11e régiment de Hussards perdit la vie.

Le lendemain 20 août les troupes françaises confortent leur position en creusant des tranchées autour du village, abattant les arbres des vergers proches pour dégager le champ de tir. L'accès et la sortie du village sont interdits à quiconque, suspendant toute activité agricole. Les fils du télégraphe ou téléphone sont arrachés, voire coupés en morceaux.

Le 21 août, un groupe du 47e régiment d'artillerie installe 4 batteries en position de tir sur le carreau du puits Reichsland, alors que dans la matinée, des éléments du 11e Régiment de Dragons de Belfort suivis par une escouade de soldats cyclistes, traversaient le village.

Concernant l'attitude des troupes françaises, les témoignages divergent quelque peu. Les troupes du 35e RI prennent leur quartier sans violence ni contrainte et disposent de denrées alimentaires suffisantes. Cependant d'autres éléments ramassèrent tous les effets alle mands abandonnés sur le terrain, rassemblèrent tous les habitants de la colonie Reichsland dans un potager pendant qu'ils perquisitionnèrent les logis pour s'approprier les provisions et aliments des locataires.

Les salles de classe et logements situés dans le bâtiment de l'actuelle mairie firent également l'objet d'une fouille très minutieuse ce jour-là.

Au matin du dimanche 23 août, l'horloge de l'église fut reculée à l'heure de Paris. Au sortir de la messe, le maire communiqua l'instauration du couvre-feu à partir de 20 heures emportant la fermeture de tous les cafés et l'interdiction de circuler dans les rues du village. En fait les troupes françaises se retirèrent du village avec beaucoup de discrétion à partir de 22 heures ce soir-là, en direction de Bollwiller. Le chroniqueur indique que le 24 au matin la population "respirait mieux" car les troupes allemandes réoccupaient à nouveau Mulhouse.

Au fil des 5 jours de " reconquête ", les unités françaises avaient appréhendé et emmené avec elles 9 civils au moins, suspectés de sympathie ou de connivence avec l'ennemi. Ces déportations concernaient les personnes ci-après Otto BETHGE, gendarme à la retraite et chargé de police à la mine Théodore. Il avait été dénoncé pour espionnage au profit des allemands. Deux responsables de la »Gewerkschaft» qui s'étaient rendus auprès du colonel pour protester de cette arrestation furent pris en otage à leur tour. Il s'agissait de Jules RUEDIGER chef de bureau et Kurt WEIL, ingénieur. Ernest MÔLLER, caissier du puits Reichsland subit le même sort le 21 août, jour où les français s'approprièrent la clé du coffre de la société. Les autres otages se nommaient Chartes ROSS, restaurateur-tenancier du " Kasino " Théodore, Otto BENTZ " Platzmeister", Camille BACHHOFFER, mécanicien aux usines Kullmann, Robert BACH, Ernest FELDENZ, commerçant, et Hugo CUBER, mineur. Toutes ces personnes furent transférées dans des camps d'internement français où elles restèrent en détention de longs mois, sans jugement et dans des conditions souvent exécrables.

En vérité, la seule trace tangible laissée par ces trois semaines de guerre fut un carré de sépultures placées à droite près de l'entrée du cimetière, contenant les restes de neuf soldats allemands. Deux autres tombes individuelles avaient été creusées par ailleurs à l'endroit même où on avait découvert les dépouilles de deux soldats. Quant à la tombe de Farey, elle fut conservée jusqu'en 1935 au moins.

Le 20 septembre 1914, nos grands-pères réservistes, rappelés au titre de la mobilisa tion du « Landsturm », se rendirent à pied d'île Napoléon à Mulheim pour être affectés aux diverses unités de combat. Le village se vida des hommes. La guerre ne faisait que commencer!

Jean-Charles WINNLEN septembre 1998